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Titel
Le mercenaire.


Autor(en)
Donzel, Olivier; Jacques Donzel
Erschienen
Chêne-Bourg 2009: Editions Georg
Anzahl Seiten
333 p.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Gilbert Coutaz

Jean Daniel Abraham Davel est né le 20 octobre 1670, à Morrens. Il est le fils de François, pasteur, qu’il perdit à l’âge de 6 ans, et de Marie Langin. Il est resté célibataire. Il habite dès 1676 à Lausanne, dont il fréquente le collège. Il s’installe en 1688 à Cully, en qualité de notaire et de commissaire arpenteur. En 1692, il entre au service étranger pour différents princes européens. De retour su pays, il participe en 1712 à la campagne de Villmergen, où il s’illustre par son sang-froid. Il est nommé, en 1717, par LL.EE. de Berne grand major et commandant de l’arrondissement de Lavaux. Prenant à son compte le mécontentement latent qui régnait dans le Pays de Vaud et, comme appelé par Dieu, il choisit, le mercredi 31 mars 1723, six cents hommes de son arrondissementmilitaire pour les faire marcher sur Lausanne. La date n’est pas anodine: tous les baillis sont à Berne pour l’attribution des emplois gouvernementaux. Le Conseil de la ville de Lausanne à qui il dévoila son projet le fait arrêter aux premières heures du 1er avril. Davel est décapité, le samedi 24 avril 1723, à Vidy, après avoir impressionné par sa grandeur d’âme et sa sérénité la foule accourue en nombre.

Davel a laissé deux petits minutaires de ses activités de notaire et six documents sur sa tentative de rébellion. La postérité lui a donné pourtant un visage, une physionomie générale, alors que nous ne disposons pas de portrait contemporain – sa tête fut même dérobée du gibet, au cours de la nuit qui suivit son exécution. Elle l’a doté de sentiments généreux, tandis qu’aucune lettre d’ordre familial ni de caractère intime ne nous est parvenue. Sa figure s’est imposée dans la mémoire collective desVaudois dont il est devenu le héros, certes tardif, mais définitif et sans partage, dès les années 1840. Associé aux mots et aux expressions « liberté», «patriotisme chrétien», « indépendance vaudoise», «martyr », « révolution» et «patrie», Davel demeure un héros du terroir d’autant plus populaire qu’il a le trait et une allure de soldat et de vigneron.

Fallait-il une nouvelle étude sur Davel, qui plus est dépasse par son nombre de pages tous les travaux jamais publiés sur ce personnage central de l’histoire vaudoise? Que pouvions-nous attendre d’une nouvelle introspection? Les auteurs ne couraient-ils pas le risque de s’en tenir à une simple compilation et à des résultats déjà connus? En fait, les craintes se sont vite estompées au contact du livre des Donzel père et fils dont les qualités littéraires et la rigueur des recherches historiques se sont harmonieusement combinées pour livrer un ouvrage de qualité qui renouvelle ce type d’approche.

Fondée sur un examen systématique des documents d’archives et une relecture exhaustive de tout ce qui a paru (l’ouvrage donne les listes correspondantes, recourt à des notes, publie divers fac-similés, intègre des citations documentaires, des chansons contemporaines, le livre de raison de la famille Leresche, de Ballaigues, les souvenirs de Jean de Sacconay), l’épopée du mercenaire est reconstituée depuis sa naissance, à Morrens, autour de personnages fictifs,mais relevant bien de leur époque (unité de personnes) et appartenant à la population lausannoise (unité de lieu). L’originalité de la démarche est d’avoir emprunté le discours, la trame et les sentiments à des membres de la «société d’en bas», témoins de la tentative de Davel et qui l’ont accompagné à l’échafaud, en les faisant évoluer dans leurs préoccupations quotidiennes, professionnelles et personnelles (unité sociale et unité économique). Portant des prénoms et des noms de «chez nous», les personnages fictifs se croisent, échangent, s’interrogent et s’expriment. Le récit est organisé autour de Samuel, imprimeur-journaliste qui enquête sur Davel, après l’avoir vu mourir: un pêcheur, un forgeron, un vigneron, un régent, un professeur, un paysan, un apothicaire, un maître d’imprimerie, un maître drapier, un notaire, un maraîcher et un fermier évoluent dans le même lieu que les épouses de certains, des servantes, un bourgeois de la rue de Bourg, un sous-lieutenant, une jeune recrue, un dragon, le guet de la cathédrale, un camisard et un docteur, qui font des apparitions furtives. L’affaire Davel s’ouvre sur un jour de grand marché dont les étals sont décrits, les odeurs et les bruits sont restitués. La rumeur gagne les rues; un certain Davel, jugé pour rébellion, va être exécuté. Par touches progressives, les digressions et les évocations historiques permettent de faire cohabiter les noms des nantis qui ont condamné Davel, ceux qui l’ont connu, côtoyé, en ont gardé un souvenir ému et précis, et ont rencontré ses parents. Comme les auteurs du livre, Samuel rassemble méthodiquement des notes sur Davel, s’invite auprès de ses connaissances, questionne le passé militaire du Major dont il décortique les différentes étapes, le nom des champs de bataille où il a combattu, les réseaux dans lesquels il a évolué.Àplusieurs reprises (chapitres 7, 13 et 16), il relance son enquête,motivé par les raisons qui ont pu justifier une telle entreprise, comment elle a pu naître dans l’esprit d’un Vaudois, pourtant privilégié et qui a longtemps servi loyalement les Bernois. Il regroupe tout ce qu’il est possible de réunir par contacts directs et par les souvenirs sur Davel ; il le situe dans son temps, ses habitudes, ses activités de militaire et de notaire. Le contexte est établi à l’aide de nombreuses incursions dans la vie quotidienne, les modes vestimentaires (l’usage de la perruque et du chapeau à trois cornes), les habitudes alimentaires des Lausannois (la recette de la cuisson au court bouillon, à la mode de Lausanne, de la gavrenche – une féra blanche) est rappelée par la femme de Samuel,Marthe (p. 43); la pomme de terre commence à apparaître dans les assiettes des bourgeois) et les mercuriales. Le temps qu’il fait (il est question alors du thermomètre à liquides), le passage d’une saison à l’autre rythment le texte, le rôle des guets de terre est rappelé pour prévenir les incendies et les brigands du Jorat suscitent la crainte auprès des voyageurs. Ce qui se lit, se joue au théâtre, se diffuse, les noms de Molière et de Jean Racine permettent d’ajouter une date à la narration et d’inscrire les impressions dans le vécu des Lausannois. Le service étranger fait l’objet d’une longue digression, l’atelier d’imprimerie que Samuel dirige est décrit minutieusement et fait surgir le monde des ouvriers, les types de publications, en particulier les almanachs qui sortent des presses. Les paysans sont évoqués comme les vendangeurs, les réfugiés huguenots qui affluent dans le Pays de Vaud, à Lausanne en particulier, sont associés à la fresque qui, selon les besoins narratifs, remonte au milieu du XVIIe siècle, de façon à mieux encadrer le propos surDavel. Tout est passé en revue, petits et grands événements, petite et grande histoire, ce qui donne de l’épaisseur et de la légitimité à la chronique.

Le roman historique ne se développe pas de manière linéaire; il se décompose en vingt chapitres, dont le titre est le simple numéro d’ordre, écrit en toutes lettres sans indication particulière. Il débute au moment où Davel termine sa vie et il se poursuit parun triple chapitre qui correspond au dimanche 24 avril 1723, et au lundi 25 avril 1723. Les effets de l’événement sont mesurés dans l’instantané; l’impact s’éprouve à l’agitation qui a gagné la ville de Lausanne et aux bruits qui circulent, entremêlés aux odeurs et aux saveurs qui se répandent au travers des légumes et des fruits vendus sur la place de la Palud. Les trois chapitres finaux rapportent ce qui s’est passé le 31 mars 1723, l’arrestation, l’incarcération et la condamnation à mort de Davel. Au fur et à mesure que les chapitres se déroulent, on remonte dans le temps, le passé du Major surgissant comme autant d’éléments explicatifs ou annonciateurs de ce qui est arrivé en 1723. Autant les faits rappelés sont précis, autant les moments où ils sont repris par les témoins sont laissés délibérément dans le flou: «ce dimanche matin, les nuages de l’automne» (chapitre 5 auquel les chapitres 5 à 11 sont subordonnés), «un matin de pluie et de vent » (chapitre 12), «c’était l’été, la saison des fêtes ensoleillées» (chapitre 15), «par un jour gris» (chapitre 16), « l’hiver suivant fut décisif » (chapitre 17), « le soir tombait sur Lausanne» (chapitre 19), «ce soirlà » (chapitre 20). Des états intermédiaires des connaissances historiques sont livrés (chapitre 13). «Par un jour gris, Samuel décide de reprendre son enquête. Rassemblant ses notes et les résumés de ses multiples entrevues, il élabora un plan. Il s’agissait à ce moment de puiser dans ses souvenirs personnels pour raconter la singulière entreprise du major Davel, au printemps 1723» (chapitre 16). Samuel ne s’arrête pas à une simple accumulation de faits. Il s’interroge, soupèse, compare et met les éléments en confrontation. Les auteurs reprenant la main livrent un épilogue qui, débarrassé des personnages qu’ils avaientmis en scène, leur permet de livrer leur synthèse et leur vérité historique. «À l’automne 1723, Berne est assurée de ne rien avoir perdu de cet essentiel fondement du pouvoir qu’est le monopole de la terreur légitime. Outre les quatre paroisses de Lavaux, les villes d’Aubonne, Morges, Cudrefin, Yverdon, Aigle, Vevey et Avenches adressent toutes, courant avril, des lettres à LL.EE. pour leur exprimer avec empressement leur soumission et leur fidélité. Le calme revenu, on comprend mal pourquoi Berne aurait mis en oeuvre les réformes préconisées par l’avoyer Steiger, touché un tant soit peu auxmodalités de «cette double, clémente et sage domination» si unanimement célébrés. » (p. 307).

Le pari de lier le sérieux de la recherche historique et d’utiliser la forme du roman historique est parfaitement tenu. Il évite l’austérité de la chronologie, la raideur des notices historiques, l’approche démonstrative de l’article scientifique et le «plat réchauffé». Les auteurs assument l’exposé historique avec ses contraintes et sa rigueur, le jalonnent de détails et d’anecdotes puisés auxmeilleures sources, l’accrédite par des chiffres sur le cours de la monnaie, le prix des marchandises, aménage des lignes pour restituer des recettes de cuisine et les nouvelles pratiques des dentistes qui appliquent l’anesthésie à leurs patients. Davel est un homme de chair et de sang, qui évolue dans un cadre précis, d’ici et d’ailleurs. Nous connaissions jusqu’alors les avis des élites, des témoins mêlés de près et de loin au pouvoir. Ceux qui ont échangé par lettre ou ont laissé des échos des événements appartenaient à la société instruite et faisaient partie des réseaux proches des gouvernants. L’originalité de la nouvelle contribution est le recours aux gens de la rue, vaquant à leurs occupations habituelles, interpellés par un événement inattendu et un séisme politique, provoqué par une personne dans laquelle ils peuvent s’identifier et reconnaître leurs revendications. Davel a été livré aux Bernois par les notables lausannois. Les bienfaits du pouvoir étaient trop grands pour qu’ils s’en privent par leur faute. La mise en perspective de la tentative de Davel et le rappel de tous les événements qui l’ont précédée empêchent de faire de Davel un illuminé ou un mystique. Sans doute, un utopiste, un esprit aussi généreux que sincère et probe. Le choix du titre démontre bien l’importance que les auteurs ont accordée aux vingt années passées parDavel au service étranger qui constitue selon eux, sans qu’ils puissent le démontrer, un des éléments importants de l’acte rebelle de 1723. Davel paraît bien avoir agi seul, sur des convictions longuement forgées et mû par la volonté d’en découdre avec un régime étouffant et corrompu.

Le mercenaire est un livre grand public, qui donne le goût de l’histoire; il revisite et revitalise un thème qui aurait pu paraître éculé. Il est exempt d’anachronismes et d’invraisemblances. Il est attentif au vocabulaire et aux comportements du XVIIIe siècle. Les auteurs font mourir Samuel, à la fin du roman, tout en laissant ouvertes les conclusions de l’enquête. «Samuel était persuadé que la charrue auxmains des générations futures, continuerait de creuser le sillon de Davel» (p. 295). Les dernières lignes du roman annoncent d’ailleurs que l’entreprise du major Davel vient de faire l’objet d’une première publication complète imprimée en 1726, par le pasteur Barthélémy Barnaud. Le nom de Davel est appelé à survivre aux témoins directs et aux investigations de Samuel.

Avec Le mercenaire, les soubassements de la singulière entreprise de Davel sont désormais en place, solidement arrimés à la vérité historique. L’histoire de Davel est définitivement écrite. La mythification du personnage relève d’une autre lecture, l’histoire de l’histoire de Davel, transformée et transfigurée selon les élans des auteurs et les interprétations plus ou moins libres auxquelles les peintres, les artistes, les littérateurs et les romanciers se sont livrés. C’est en témoins de 1723 et des années antérieures que les Donzel ont rédigé leurs recherches. Ils méritent notre considération pour s’en être tenus scrupuleusement à leur démarche initiale et de l’avoir remplie complètement.

Citation:
Gilbert Coutaz: Compte rendu de: Olivier DONZEL, Jacques DONZEL, Le mercenaire, Chêne-Bourg: Éditions Médecine et Hygiène/Georg, 2009. Première publication dans: Revue historique vaudoise, tome 118, 2010, p. 292-295.

Redaktion
Veröffentlicht am
14.08.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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